Vous êtes nombreux à vous interroger sur les sort de vos congés durant cette épreuve qu'est la grave crise sanitaire que nous vivons. La Direction vous sollicite pour vous inciter (voire plus selon le ton employé...) afin de contribuer à l'effort de guerre. Un effort qui n'est autre selon nous qu'un pis aller destiné à soulager sa conscience vis-à-vis des demandes d'activité partielle qu'elle compte opérer auprès de la DIRECCTE. Toute mesure coercitive, comme celles contenues dans les ordonnances relatives aux congés payés, RTT et CET, n'est entendable qu'en échange de contreparties valables. Le sacrifice actuel de congés doit être mûrement réfléchi sachant qu'à l'issue du confinement, de nombreux salariés souhaiteront exercer significativement de réelles prises de congés, autrement que dans un appartement avec pour tout loisir la possibilité de changer de pièce, et encore lorsque l'on a la chance d'en avoir plusieurs... Trêve de plaisanteries, faisons un point sur l'état du Droit concernant vos congés.
L'ordonnance 2020-323 du 25 mars 2020 porte sur les mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos. Elle instaure un régime exceptionnel jusqu'au 31 décembre 2020. Nous nous intéressons plus particulièrement à l'article 1 de l'ordonnance qui est dédié aux congés payés, puis aux articles 2 à 5 qui concernent l'usage des RTT et du CET.
Que prévoit l'article 1 de l'ordonnance ?
Elle permet, sous la condition express d'un accord de branche ou d'entreprise, à l'employeur :
- d'imposer la prise de congés payés, dans la limite de 6 jours ouvrables maximum (soit 5 jours ouvrés de CP pour ce qui nous concerne) avec un délai de prévenance réduit à un jour franc. Ces congés peuvent être soit acquis (période de prise ouverte) soit en cours d'acquisition (période de prise non ouverte)
- de modifier unilatéralement les dates de prises de congés déjà posés par les salariés (dans la limite des 5 jours déjà évoqués) avec le même délai de prévenance d'un jour franc.
- d'imposer le fractionnement du congé principal s'il est supérieur à 12 jours, et de ne pas tenir compte de la prise de congés simultané pour des salariés conjoints dans la même entreprise.
L'ordonnance est-elle applicable chez AUSY ?
La réponse est NON. La négociation de branche sur un accord a eu lieu et à échoué, faute de contreparties proposées par le syndicat patronal. Une négociation d'Entreprise a débuté mais la CFDT AUSY y exigera des contreparties suffisantes vis-à-vis de l'effort demandé aux salariés. Pour l'heure, ces modalités ne sont donc pas applicables.
Que peut faire l'employeur sans accord collectif ?
Pour les congés payés déjà posés, l’employeur peut modifier les dates à condition de le faire deux mois avant le début des congés et sous la condition d'un accord entre les parties. Lorsque l’entreprise prend l’initiative de cette modification, elle s’engage à verser sur justificatifs un dédommagement correspondant aux frais éventuels occasionnés.
S'il s'agit de congés à venir, l'Entreprise peut organiser les dates de départs sous la réserve qu'un délai de prévenance de deux mois soit respecté.
Attention toutefois : la Direction peut vous demander de liquider les congés restants de l'actuelle période de référence qui expire le 31 mai. De toute façon dans le cas où il vous reste des congés acquis avant le 31 mai, il faut les prendre sinon ils sont perdus. Vous devez donc les poser avant le 30 juin, sauf à verser ceux-ci dans votre CET mais dans la limite de 5 jours (non compris les jours d'ancienneté si vous en bénéficiez).
Les articles 2 à 5 de l'ordonnance concernent l'usage des RTT et du CET. contrairement aux congés payés, ils n'exigent pas d'accord collectif. Ainsi, l'Employeur peut :
- Imposer ou modifier les journées de RTT au choix du salarié (appelé aussi dans notre référentiel "RTT-S") dans le cadre de l'accord de réduction du temps de travail. Les jours doivent avoir été acquis. L’employeur ne peut pas imposer de RTT-S « par anticipation ».
- Imposer et modifier les dates de prises de jours de repos acquis prévus par une convention de forfait annuel en heures ou en jours ;
- Imposer la prise de jours de repos placés sur un CET.
La Direction peut ainsi décider la prise ou la modification unilatérale de ces jours de repos dans la limite globale de dix jours sur la période allant jusqu’au 31 décembre 2020 et sous réserve de respecter un délai de prévenance d’un jour franc.
L'ordonnance est peu précise sur la nature des RTT, elle évoque la mention "au choix du salarié" , une incertitude juridique plane sur leur typologie : doit-on y inclure ou pas les RTT-E, la RTT-C ? Oui, si l'on se réfère à des analyses juridiques mais sans obtenir de certitude sur l'interprétation. On peut toutefois se rassurer si on lit qu'au global il est fait état de 10 jours de repos, donc la conclusion s'imposerait que ce lot de 10 jours inclut tous types de repos. Mais alors si on inclut les RTT-E, elle doivent être acquises pour être imposées comme l'ordonnance le dit, cependant notre accord d'entreprise permet à l'employeur de les imposer en anticipé ? Bref, c'est un bel imbroglio et vous avez des arguments pour ne pas subir sans broncher le diktat de votre manager...
Cette mesure d'imposition est donc applicable, pour peu que le CSE soit informé et consulté, mais cette procédure est actuellement en cours.
Dès lors, quels sont les impacts sur vos congés en fonction de vos compteurs de congés ?
La Direction a confirmé en réunion CSE son intention de recourir à l'usage imposé de jours RTT et CET comme le lui permet l'ordonnance du 25 mars dernier. Elle entend bien sûr (!) ce dispositif comme étant additionnel aux RTT-E qui sont de sa prérogative. Comme nous l'évoquions précédemment, un débat juridique existe sur ce point et nous avons eu confirmation par plusieurs partenaires juridiques que l'ordonnance entendait les jours RTT au sens global et donc sans distinguer RTT-E et RTT-S, voire la fameuse RTT-C du 22 mai.
Que peut alors, dans ces conditions, vous demander comme "effort de guerre" la Direction ?
De notre point de vue (car on l'a vu, rien n'est clair), en premier lieu elle est en capacité de vous imposer 4 jours de RTT-E et cela même en anticipé conformément à notre accord sur l'aménagement du temps de travail.
Ensuite, elle peut vous rappeler que votre solde de vos congés payés est exerçable avant le 30 juin 2020. Sur ce point et si votre solde est positif, elle n'est pas en capacité de vous imposer des dates de congés sans respecter un délai de deux mois. Dès lors, l'intérêt est limité pour la Direction et vous avez intérêt à poser ces congés de manière à visée une date post-déconfinement (en juin, espérons-le) sauf si vous aspirez à partir en voyage dans vos pièces de vie.
La Direction a toutefois précisé qu'elle n'entendait pas imposer les jours RTT-S ou CET si le salarié avait poser une demande équivalente en jours de CP. Pas de double peine donc à prévoir (mais à surveiller) pour ceux qui pourrait se voir contraint de poser des jours de chaque côté.
Concernant l'usage de jours RTT-S et CET, le principe est contraint car un nombre important de salariés n'ont pas de jours CET et l'imposition de jours RTT-S doit se faire sur une base acquise. Au 30 mars, vous disposez ainsi au maximum (car n'oubliez pas que l'activité partielle ne génère pas de droits à RTT) de 0,63 jours de RTT-S (0.97 jours au 30 avril puis 1,40 jours au 31 mai).
En résumé, le recours maximal selon la Direction s'évalue donc à 4 jours de RTT-E auxquels s'ajoute potentiellement les 10 jours RTT-S/CET, soit 14 jours de repos. Ce recours maximal peut aussi être de 10 jours si l'on intègre les RTT-E dans la mesure de l'ordonnance (comme évoqué plus haut). Nous ne parlons pas ici de CP puisque le principe de double peine ne sera pas appliqué selon la Direction.
En fourchette basse, si votre solde de CP de la période actuelle est nul et que votre CET est vierge, le recours de la Direction se minimise a 4 RTT-E et 0,5 RTT-S à ce jour soit 4,5 jours.
Si votre CET comporte des jours, nous vous conseillons plutôt la prise anticipée de jours RTT-S afin d'éviter de piocher dans votre épargne. C'est dans ce cas de figure que l'incertitude juridique sur l'intégration ou non des RTT-E dans les 10 jours imposables peut aggraver ou non le "braquage" de votre CET si la direction décide d'y piocher...
En conclusion, il est important de rappeler que ces mesures décrétées par ordonnance couvrent une vaste période jusque fin décembre et que même si votre manager n'a pas actionné de demandes pour l'instant, elle pourrait intervenir plus tard. Il est donc important de conserver à l'esprit ces principes dérogatoires au droit habituel qui, espérons-le ne sont pas destinés à perdurer. Ils sont d'autant plus injustes qu'aucune mesure compensatoire n'existe par défaut et qu'il est bien délicat de négocier des contreparties par accord. Les ordonnances prônent en effet le dialogue social sans y inciter en quoi que ce soit l'Employeur. Un air de déjà vu dans ce quinquennat...